Donc à Nantes, il existe un projet pour construire un nouvel aéroport international à Notre Dame des Landes et de détruire 2000 ha de zones humides où vivent des espèces protégées comme le triton crêté alors qu’il existe déjà un aéroport dans la proche banlieue nantaise à Bouguenais. Pour comprendre les enjeux autour de ce projet, il faut reprendre l’histoire de Nantes depuis la fin des années 80. Pour développer la ville, les élites locales ont choisi une option sur la longue durée orientée officiellement vers la culture depuis la fermeture des chantiers navals en 1987. Le tertiaire avait déjà amorcé son développement depuis un certain temps avec l’installation l’Insee, le service de l’Etat Civil des personnes nées à l’étranger du Ministère des Affaires Etrangères, le service du fichier du Casier Judiciaire national, le service des Naturalisations, le service des Pensions au milieu des années 80. A la fin des années 90, Bouygues Telecom s’est installé à Nantes, de même que la Direction du Service Informatique Voyageurs de la Sncf suite à un sondage chez les salariés, La Poste avant de devenir Banque Postale a transféré une partie de ses services financiers sur Nantes. Le service des Passeports et des Visas longs séjours du Ministère de l’Intérieur a été créé à Nantes dans la dernière décennie en lien avec les services du Ministère des Affaires Etrangères. Ce n’est pas du tertiaire, mais nous avons également un Centre de Détention et depuis quelques années un Etablissement Pénitentiaire pour Mineur. La commune d’Orvault a accepté l’implantation de cette nouvelle prison pour jeunes en échange de la construction d’un mur anti-bruit à proximité de la rocade. Le transfert de l’ancienne prison du centre ville très vétuste dans un nouvel établissement en périphérie de Nantes n’a pas créé d’emploi, mais a permis la mise en place du premier partenariat public privé sur la région avec Bouygues. L’installation du siège Social du CIO est en cours de construction. Attirer les entreprises tertiaires est un souci permanent de la politique de Nantes Métropole.
Le choix de la culture est visible par l’organisation d’événements comme les Allumées, le Festival des Trois Continents, le Festival d’Eté, Tissé Métisse, le Festival des Utopiales, la Folle journée, les parades de rue de Royal de Luxe, la construction du Palais des Congrès avec de grandes salles de spectacles, puis la création de l’espace culturel Lu, dit « le Lieu Unique », à la fois scène nationale, lieu d’exposition, espace de débat, espace de convivialité branché avec librairie, bar et restaurant. Il est situé dans les locaux de l’ancienne usine Lu qui fabriquait les petits beurres nantais de Lefebvre Utile. Ce lieu a été réaménagé avec une belle coupole en plastique qui copie l’ancienne, une reconstruction architecturale postmoderne des locaux industriels, une reprise du passé pour l’intégrer à la vie culturelle d’aujourd’hui. Les événements organisés ont souvent une apparence non-conformiste voire provocatrice.
Mais au-delà des apparences, c’est bien un lieu institutionnel qui utilise la culture comme bouillonnement créatif d’agitation, mais c’est surtout un moyen d’intégration au capitalisme contemporain, cela a été très clair lorsque les personnes mal-logées ont occupé une partie des locaux non utilisés non utilisés l’hiver 2012. L’aspect contestataire de Lu a vite montré ses limites. La Mairie et la Préfecture ont toléré cette occupation pendant une quinzaine de jours, puis elles ont ordonné son expulsion policière et violente sans reloger les personnes sauf quelques femmes avec enfants en bas âge pour faire bonne figure. Depuis les manifestations du Collectif un toit pour toutes et tous sont régulièrement interdites, mais la parole officielle des autorités municipales socialistes et préfectorales est que tout ce qui est possible est fait pour aider les mal-logés. Pourtant, le centre du 115 dédié à l’hébergement d’urgence est saturé, il sert à gérer les flux de sans logis et à choisir les personnes qui auront droit à un hébergement d’urgence dans un hôtel. Il est aussi utilisé pour sélectionner ces personnes et à faire pression sur elles si elles n’ont pas un bon comportement ; les hôteliers, eux, sont tout à fait satisfaits de ce type de solution qui revient dix fois plus cher que l’hébergement dans un logement social classique. Mais, comme les offices d’Hlm ne construisent pratiquement plus de logements sociaux, c’est un problème insoluble où la gestion de la misère l’emporte sur tout le reste. C’est un des aspects de l’apartheid social local, derrière la culture à Lu, la gestion socialiste et étatique continue ses ravages, comme l’expulsion des SDF du centre ville. Celle-ci se déroule avec des camionnettes banalisées de la police municipale, en cas de rébellion les flics de la Bac sont rapidement sur place. Pour avoir un centre ville bien propre et préserver l’image de Nantes, la municipalité PS n’a pas d’état d’âme.
Dans le cadre de la construction d’équipements culturels, il faut citer l’implantation d’un Zénith au milieu des années 2000. Maintenant, Nantes Métropole se vante de la réussite de cette nouvelle salle prévue pour les grandes tournées nationales de spectacles. Mais, la grande affaire du développement de Nantes tel qu’il a été choisi par Ayrault et Nantes Métropole, c’est le réaménagement du quartier de l’Île de Nantes sur la partie ouest de l’Île Beaulieu sur la Loire. Le nom même de l’instance qui pilote et définit le projet c’est « Nantes Métropole » qui d’emblée le relie à la notion de métropolisation. Ce concept est employé par des géographes, des urbanistes et des sociologues pour parler du développement des grandes villes de par le monde. Nantes est une petite ville si on la compare à d’autres mégalopoles comme Tokyo, Mexico ou New York. Nantes est la sixième ville de France et la huitième agglomération française. Pourtant, il est justifié de parler de métropolisation pour Nantes. Cette métropolisation ne peut pas être séparée de l’économie libérale mondialisée et financiarisée et de son contexte de concurrence. Dans ce cadre, les métropoles ou les villes qui aspirent à le devenir doivent se donner les moyens de grossir, il s’agit de grandir ou de dépérir, c’est une thèse implicite qui n’est jamais discutée ou discutable. Le monde urbain serait générateur de richesses en lui-même en s’appuyant sur les activités tertiaires et un système de production en réseaux qui s’appuient sur les réseaux de transports, les réseaux d’énergies et informatiques et les réseaux de services. C’est le développement d’une économie en archipel avec une articulation centre – périphéries. Dans cette évolution néolibérale, l’image culturelle et patrimoniale des villes est très importante, il est question de marketing territorial, de compétitivité et d’attractivité. Les avantages des villes se mesurent à la taille des marchés, à la présence de main d’œuvre qualifiée, de l’accès possible aux sources d’information, à la présence de services, à la possibilité d’user de la sous-traitance, à la présence d’une économie intellectualisée, à la densité des transports et à leur bon fonctionnement, au dynamisme culturel toujours renouvelé. Tous ces éléments sont présents dans la métropolisation nantaise. Dès 2001, un cadre de la CCI Chambre de Commerce et d’Industrie de Nantes constate avec joie que « Nantes est identifiée comme une centre de compétences pour l’ouest de la France ». 1
De plus, la métropolisation est une volonté politique et économique qui a choisi de passer de l’industrie à une logique tertiaire et culturelle depuis le déclin industriel de la Basse Loire. La convergence des déplacements, la dynamique spatiale et économique, la structuration autour du tertiaire, la concentration par type d’activités font partie des mutations de cette ville. La liaison avec l’économie globale des flux internationaux s’effectue notamment par le port de St Nazaire et par l’aéroport. Ce qui explique que dans certaines versions de cette métropolisation il soit question d’un continuum entre Nantes et St Nazaire pourtant distant de 65 km. Parfois, la Métropole locale est décrite comme étant celle de Nantes Atlantique qui engloberait St Nazaire et Rennes située à 100 km de Nantes. Rennes est également engagée dans un processus de métropolisation qui est en concurrence directe avec celui de Nantes, la lutte pour le leadership régional est perpétuelle. Une des différences est que Rennes a une histoire universitaire de longue date, l’Université de Nantes est relativement récente, elle existe seulement depuis la fin des années 70. Une autre différence, c’est que Rennes est un nœud ferroviaire pour le TGV, ce qui ne pourra jamais être le cas pour Nantes.
La métropolisation nécessite que l’investissement public se porte sur l’enseignement, la recherche, les infrastructures de transport, les différents réseaux indispensables à la vie urbaine actuelle. Tout cela est bien présent à Nantes, comme une autre caractéristique : l’absence de transparence dans la conception de l’urbanisme accompagnée d’une omniprésence de la communication pour vanter tous les projets en cours et la vision de la ville à long terme alors qu’il n’y a pas de discussion démocratique sur ce développement. On retrouve un autre élément typique de la métropolisation à Nantes : la différenciation des populations et de certains territoires au sein de l’espace métropolisé. Cette différenciation prend la forme d’une gentrification dans certains quartiers.
Face à la crise industrielle, promouvoir la culture a permis de lier une logique du lieu – l’Île de Nantes – à une logique de marché. La notion de média territoire associe l’attractivité et le marketing propre au territoire en question. Ces dernières années des grands événements sont organisés sur l’Île de Nantes qui tend à devenir une sorte de parc d’attraction avec la halle d’Alstom transformées en halle des Machines qui a commencé par recycler les imposantes créations machiniques de Royal de Luxe. Il y a également l’utilisation des grandes Nefs, dont une est dédiée à l’Éléphant qui fait sa promenade régulière pour amuser les enfants avec quelques installations végétales. Maintenant, nous pouvons tourner dans un Carrousel dédié aux Monstres marins, ce manège, qui est une création du centre des Machines, vient d’obtenir un prix mondial. 2 Le concepteur des Machines fait référence au « feu vert politique », ce qui démontre l’importance des politiciens locaux dans ce développement culturel et de loisirs, la concurrence avec le parc d’attraction du Puy du Fou en Vendée est clairement mentionnée.
Pour compléter l’aspect culturel de l’Île de Nantes, Nantes Métropole a regroupé diverses associations culturelles nantaises au sein du lieu nommé La Fabrique et a crée une nouvelle scène de spectacle attenante, Stereolux, pour remplacer l’ancienne scène de l’Olympic. Cet espace accueille maintenant le festival Scopitone. Un pôle média avec Fr3 avec une école multimédia déjà implantée va se mettre en place, tout cela pour renforcer l’aspect culturel de l’Île de Nantes. Il faut aller vers une culture créative, l’innovation culturelle. Le fait que le label Nantes Capitale Verte a été décerné à la ville de Nantes pour l’année 2013 permet d’adjoindre l’écologie à la culture, d’où une inflation de discours et d’événements autour du thème de l’écologie et du développement durable, ce qui sert à faire oublier les dégâts écologiques faits à Notre dame des Landes ou dans le réaménagement de Nantes comme pour le Square Mercœur. De nombreux arbres centenaires ont été coupés ou déplacés pour installer de nombreux dispositifs avec beaucoup de minéral et peu de végétal, sans oublier la création de grands espaces faciles à vidéosurveiller avec quelques caméras bien placées.
Le Palais de Justice construit par l’architecte Jean Nouvel, spécialiste du cube noir mortifère, a permis son transfert sur l’Île de Nantes, l’ancien Palais de Justice est devenu aujourd’hui un hôtel de luxe symbole de la clientèle que Nantes Métropole veut attirer dans notre région. Un mémorial dédié à l’esclavage a été construit par la multinationale Vinci, qui continue ses exactions colonialistes un peu partout dans le monde, en particulier au Niger ou au Qatar. Cette création a été une étape importante pour se réapproprier le passé esclavagiste de Nantes et de donner une nouvelle image de la ville moderne qui assume ouvertement son passé. Cette opération a tout d’une célébration à la gloire de la démocratie parlementaire contemporaine, parce que le rapport colonial et néocolonial continue sous de nouveaux hospices apparemment moins directement violents, mais tout aussi dominants et exploiteurs. 3 Le lien entre Vinci et Nantes Métropole concerne toutes sortes de projets, les « prédateurs du béton » peuvent travailler à la bonne image du PS local sans aucun problème, ils peuvent également s’en servir pour eux-mêmes. 4 Ils sont complètement impliqués dans divers projets sur Nantes comme l’aéroport de Notre Dame des Landes, dans le Btp avec le réaménagement de la ville, dans divers projets immobiliers en particulier dans la zone Euronantes et des parkings très bien situés comme celui des Nouvelles Cliniques Nantaises, où il est quasi-impossible de stationner ailleurs. Le système des concessions est bien un rançonnage légal de la population organisé avec la complicité des municipalités adjacentes, puisque les PV pleuvent si on essaie de se garer hors des parkings payants.
La réappropriation du passé est multiforme sur l’Île de Nantes, un des plus voyantes ce sont les grues Titan, dont la célèbre grue jaune utilisée par les masculinistes pour exprimer les thèses contre les femmes. Les grands hangars des chantiers navals sont devenus des « Nefs », des cathédrales de la culture et des loisirs, les anciens rails ont été conservés sur le quai du Hangar à Banane. C’est endroit où sont situés des lieux d’expositions, des bars, des restaurants, des boîtes de nuit où nous sommes conviés pour faire la fête et consommer de la culture. C’était un des espaces où s’est déployé une partie de l’événement culturel Estuaire en 2010 2011, puis Voyage à Nantes en 2012. En 2013, l’aubaine pour Nantes Métropole c’est le prix Nantes Capitale Verte, qui a été décernée par l’Europe suite au lobbying intensif de Ronan Dantec, un écologiste qui collabore avec la Mairie, au sommet sur le climat de Copenhague. Il a été bien récompensé, puisque avec le soutien du PS, il est devenu vice-président de Nantes Métropole, puis a été élu sénateur. Il a commencé sa carrière politique en créant une radio associative Radio Alternantes. Au fil du temps, il est devenu un notable en étant élu à la municipalité de Nantes. Il se dit opposé au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, mais il participe activement au travail de Nantes Métropole, où il avait un poste de vice-président. En ce qui nous concerne, cette position relève du grand écart insoutenable, puisque l’aéroport de Notre Dame des Landes doit devenir l’aéroport de la Métropole de Nantes. C’est un projet inséparable de la métropolisation de cette ville. De plus, même avec le la bel HQE Haute Qualité Environnentale, il détruira 2000 hectares de zones humides irremplaçables à l’écosystème local, il va détruire des espaces menacées comme certaines espèces de salamandres, diverses variétés d’oiseaux et des chauves-souris rares pour ne citer que les plus célèbres d’entre elles. 5
L’appui sur des éléments symboliques est utilisé pour faire monter la réputation et l’attractivité de Nantes et plus particulièrement de l’Île de Nantes. L’appel à de grands de l’architecture comme Nouvel pour le Palais d’Injustice et Portzamparc au centre d’art contemporain de la Fleuriaye à Carquefou. Autre grand nom instrumentalisé, c’est celui de Buren qui a installé une grande série d’anneaux lumineux de couleur sur le quai qui conduit au Hangar à Banane. Là aussi, la reprise du passé est en jeu parce que ces anneaux peuvent être vus comme « les Anneaux de la mémoire » en continuité avec le mémorial sur l’esclavage situé sur l’autre côté du quai de la Loire. C’était également le nom d’une exposition sur l’esclavage au début des années 90 à Nantes, cet événement n’avait pas été bien accueilli à l’époque, beaucoup de réticences à assumer le passé esclavagiste de Nantes s’étaient manifestées. Ce temps semble révolu, si l’on en croit le PS, c’est devenu un motif artistique et de commémoration, la postmodernité a bien récupéré l’affaire et l’a rendu acceptable avec de nouvelles formes esthétiques.
C’est dans la zone au nord de Nantes près de l’Erdre que Portzamparc a pu construire son œuvre, c’est également à cet endroit que la Technopole a été implantée avec diverses grandes écoles. Cette Technopole est un élément important de la métropolisation, on retrouve ce souci d’avoir de grandes écoles et des Technopoles dans d’autres projets de Métropole comme à Nice Sofia Antipolis, Lille, Lyon, Bordeaux, Poitiers autour de son Futuroscope. Paris en compte plusieurs, dont certaines sont privées comme celle de Bouygues à Meudon. C’est une véritable prolifération de Technopoles qui se développe partout en France dans les villes d’une certaine importance. A chaque fois le même discours s’exprime, il s’agit d’attirer les entreprises, de développer des pôles d’excellence, d’être compétitif, innovant, de promouvoir de nouveaux métiers, de bien se placer dans la concurrence mondiale et nationale. Ce schéma, on le rencontre à l’intérieur même du territoire de Nantes Métropole. Une des dernières livraisons du journal municipal de la ville de Rezé parle du nouveau quartier « technopolitain » créé autour de l’IRT Jules Verne de Bouguenais, l’Institut de recherche Technologique : « Une vraie chance pour le Sud-Loire, un élément majeur d’attractivité pour l’ensemble du territoire de la métropole. » 6 La reprise du passé et la continuité dans le changement passe ici par la figure de Jules Verne qui est donc sollicité pour parrainer ce voyage au centre du développement capitaliste de la région de Nantes. D’ailleurs, le directeur de l’Irt se vante des liens entre son organisme et les grands groupes comme Alstom dans le domaine des éoliennes de grandes tailles.
Le pari sur l’avenir passe par la recherche technologique et scientifique. Nantes n’échappe pas à la règle, il est dit tout à fait ouvertement qu’il faut aller vers une économie de la connaissance. Un des exemples est le pôle bio-technologique implanté derrière le nouveau Palais de Justice dans une ancienne halle Alstom. Une des entreprises phare de ce cet ensemble c’est celle qui s’est détachée de l’Université de Nantes pour faire des analyses ADN et des recherches à partir des gènes, elle se nomme IGNA, Institut Génétique Nantes Atlantique. Elle est spécialisée dans l’expertise médico-légale génétique, elle se présente comme le leader de l’expertise génétique en France, elle s’est développée et est maintenant implantée à Nantes, à Marseille et Strasbourg. C’est une pièce importante du dispositif d’apartheid social dans notre pays, elle permet d’alimenter le fichier des empreintes génétiques nommé FNAEG, Fichier National des Empreintes Génétiques. Lors de sa création ce fichier ne devait contenir que l’Adn des délinquants sexuels, Nicolas Sarkozy dans son délire sécuritaire a étendu le prélèvement à 17 autres délits. C’est devenu un fichier immense, dans lequel 30 000 personnes rentrent tous les mois, l’objectif policier est bien le fichage génétique extrêmement large de la population française. Les données intimes des personnes peuvent être conservées pendant 40 ans pour les personnes condamnées et 25 ans pour les personnes mises en cause qui ne sont ou n’ont été que de simples suspects jamais poursuivis. Le contenu du Fnaeg est composé de 75% de personnes mises en cause, un fichier de personnes susceptibles d’avoir lutté contre quelque chose et donc potentiellement coupable d’actes anti-sociaux. La procédure de sortie n’est pas automatique, elle est longue et à suivre de près pour qu’elle soit effective. La justice peut poursuivre les personnes qui refusent ce fichage Adn de façon perpétuelle, vous pouvez être condamné à trois mois de prison avec sursis une première fois, mais le lendemain la police ou la gendarmerie peut venir vous demander à nouveau de donner votre Adn et vous pouvez être condamné par la justice pour le même délit d’une façon beaucoup plus forte au nom de la récidive. Les enquêtes sont faciles à faire, les forces de l’ordre ont votre nom, votre adresse et souvent vos empreintes. C’est un outil de pression sur les personnes en luttes, les syndicalistes, les faucheurs d’Ogm, et autres, comme les opposants au projet de Notre Dame des Landes. C’est une méthode très efficace, parce qu’à un moment on peut avoir envie que la spirale infernale s’arrête, donc on se calme pour ne pas faire arrêter à nouveau et risquer une nouvelle condamnation. Ce délit successif fabrique artificiellement des récidivistes et des multirécidivistes qu’il suffit d’aller arrêter le jour d’après et ce sans fin. On est loin de la délinquance sexuelle du début et la technologie d’Igna participe à tout cela : la société de contrôle. La science Adn est réputée être irréfutable, ce serait la preuve ultime pour découvrir les auteurs de crimes, de fait c’est une méthode de contrôle social et de blocage des luttes. La gauche arrivée au pouvoir en 2012 ne dit rien sur tout cela et Walls conforte, comme partout, les pratiques policières. Aucune réforme judiciaire n’est envisagée pour ne plus poursuivre les personnes en lutte, c’est donc une criminalisation des luttes sociales à Notre Dame des Landes et ailleurs. Le PS a donc choisit de maintenir la structure fondamentale de l’apartheid social, de la surveillance et de la domination policière en France, notamment parce que les délits financiers ne sont pas concernés par le prélèvement Adn.
Pour le projet Île de Nantes, l’insistance sur la culture et l’économie de la connaissance permet d’alimenter ce qui est nommé un « marketing territorial » pour attirer les cadres tout en cherchant à s’insérer dans des réseaux européens et à revitaliser l’esprit d’entreprise qui caractérisait apparemment la ville au XVIIIème siècle et qui de facto était basée sur les profits liés à l’esclavage. La Métropole est conçue comme un hub de connexion qui aurait des effets multiplicateurs de flux, c’est ce qui est annoncé, entre autres, pour l’aéroport de Notre Dame des Landes. Ce postulat n’est pas démontré, alors Nantes Métropole essaie d’agir au niveau de la représentation collective de la ville en insistant sur une conception marquée par les valeurs de partage et de solidarité, même si dans la pratique c’est très souvent l’inverse qui se passe. Il faut essayer de développer l’adhésion à la nouvelle forme de territoire qu’est l’Île de Nantes, c’est ce qui a été tenté avec Nantes Capitale Verte pour obtenir une notoriété internationale et développer cette fameuse attractivité tant désirée, cette valeur suprême que serait le dynamisme culturel et écologique propre à Nantes. Pour que l’Île de Nantes soit elle-même attractive et que le pôle tertiaire devienne conséquent, plusieurs structures ont été transférée sur place : l’Ecole nationale supérieure d’architecture, la Maison des Avocats, l’association Trempolino. Dans ce cadre, les technologies relationnelles ont un rôle clé pour mettre en avant le « média territoire », on retrouve l’agir communicationnel cher à Habermas dans une version consensuelle et orientée vers le développement capitaliste de Nantes. Pour que tout cela fonctionne, il faut que la collaboration régulière des habitants soit effective, il s’agit de penser et de mettre en œuvre un devenir contributif de la population, un essaimage créatif qui produise de façon permanente la vie rêvée pour l’Île de Nantes. C’est une sorte de fiction qui doit devenir réalité, les habitants se doivent de participer, c’est pensé pour eux, avec eux, enfin c’est qui est affirmé officiellement, parce que dans les faits c’est pensé sans eux, c’est une gestion de projet banale aujourd’hui, comme un projet d’entreprise, ici c’est une métropole, mais cela n’a pas d’importance, les méthodes sont les mêmes. Les implicites du développement économique capitaliste ne font pas partie de la discussion, quand il y en a une, par contre, vous êtes sollicités de multiples façons pour vous projeter vers Nantes 2030. On ne sait jamais, vous pourriez avoir des bonnes idées à récupérer et ce serait gratuit, pas de bureau d’étude et vous y tenez à vos idées, vous aurez à cœur de les défendre. Lors de la présentation de communication, on va inclure vos idées, les mettre en avant et faire comme si le projet venait en partie de vous et essayer de gommer que cela vient d’ailleurs, où l’organisation de la vie autour du flux tendu, la précarité et la surveillance sont la règle. La mise en avant de la culture et de l’écologie dans la forme de la ville est un excellent moyen pour accentuer la dépolitisation qui entoure ces projets, parce qu’aucune discussions sur ce choix et ses enjeux n’est possible. On nous propose une communion, un partage d’émotions, pas une discussion démocratique.
D’autre part, derrière les infographies bien léchées de Nantes Métropoles et la présentation du rêve Île de Nantes, il ne faut pas oublier les enjeux et les possibles dysfonctionnements. Le transfert de l’aéroport est une pièce maîtresse du dispositif, il va permettre plusieurs choses positives du point de vue des concepteurs du projet Île de Nantes :
– Libérer des terrains pour urbaniser et densifier la proche banlieue de Nantes, cela devrait rendre possible l’installation d’au moins 15 000 nouveaux habitants à Bouguenais ;
– Permettre le transfert du Min (Marché d’Intérêt National) de l’Île Beaulieu vers Bouguenais au plus près de la rocade. Là aussi, des opérations immobilières avantageuses sont à prévoir ;
– Supprimer les limites de construction liées à la sécurité aérienne. Actuellement, à cause du survol aérien en vue de l’atterrissage, pour construire des immeubles plus de quatre étages sur l’Île de Nantes, il faut demander une dérogation, si l’aéroport s’installe à Notre Dame des Landes il n’y aura plus de difficultés. Ceci explique aussi pourquoi la question du bruit des avions et la hauteur de sécurité provoque autant d’émotions et qu’elles soient si bien relayées par la presse locale aux ordres pour demander l’arrêt du survol de la ville de Nantes à si basse altitude.
– Après le départ du Min, il y aurait assez de terrains sur l’Île de Nantes pour transférer le CHU et libérer de nouveaux espaces constructibles au centre de Nantes.
A terme, si l’aéroport de Notre Dame des Landes se construit, le vaste triangle de terres agricoles situé dans l’espace Vigneux de Bretagne, La Paquelais, Orvault et Sautron deviendra zone à construire, Nantes Métropole pourra continuer à urbaniser là-bas sans problèmes.
Par contre, il reste une autre fausse note possible dans ce bel ordonnancement, c’est l’usine Airbus et ses 4000 ouvriers. Cet ensemble industriel a besoin de la piste de l’aéroport actuel plusieurs fois par semaines pour l’avion cargo Bélouga atterrisse et décolle, celui-ci amène des morceaux de fuselage d’avions et en emmène d’autres. Pour l’instant, on ne sait pas que va devenir cette usine, parce qu’on ne connaît pas la position de EADS sur le fait de prendre ou non à sa charge complète le fonctionnement de cet aéroport pour le seul Bélouga à temps partiel dans la semaine alors que Notre Dame des Landes va fonctionner tout le temps. Airbus n’a pas dit non plus qu’il acceptait que le Bélouga atterrisse à Notre dame des Landes. Il faudrait alors organiser un voyage allé et retour des pièces énormes par la route, ce qui recèle beaucoup de difficultés. Si Airbus ferme, les autorités auront du mal à dire que le projet de Notre Dame des Landes crée des emplois, alors qu’il commence par 4000 suppressions de postes.
Nous avons évoqué plusieurs fois la question du développement capitaliste dans la forme que prend notre ville. Le premier domaine où nous le rencontrons est celui de la domination et de l’exploitation avec des rôles différents dévolus aux sujets selon notre place dans l’échelle sociale, selon qu’ils soient de ceux d’en haut ou de ceux d’en bas, selon qu’ils soient des dominants et des dominés.
Dans ce schéma qui essaie de modéliser le lien entre domination et exploitation, pour les classes dominées, nous devons être dans l’efficacité économique et accepter notre affaiblissement politique, c’est la base même du capitalisme depuis qu’il a commencé à se développer. L’exploitation prend plusieurs formes dont l’exploitation du travail salarié. L’activité humaine doit être utile, le profit est lié à la plus-value, le salaire n’est pas le paiement du travail, mais celui de la reproduction de la force de travail. Un deuxième aspect de l’exploitation c’est celui du paiement de l’intérêt suite à un crédit accordé par une banque. La base de ce mécanisme c’est la création de la monnaie ex-nihilo, le droit de créer de la monnaie par les banques lors de l’octroi des crédits, droit garanti par l’Etat, ce qui est nommée aujourd’hui « l’argent-dette ». Ce terme peut provoquer discussion. En échange du crédit la banque perçoit l’intérêt, une fois l’emprunt remboursé, la ligne de crédit est effacée. La prise de conscience du rôle que joue la dette dans le maintien du capitalisme s’est, entre autres, manifesté par le mouvement Occupy Wall Street à New York et les travaux de David Graeber. 7 Un troisième élément de l’exploitation capitaliste est l’exploitation liée à la propriété privée immobilière de la terre et des logements qui nous demande de payer un le loyer ou un fermage. Une des formes nouvelles de cette exploitation, est celle qui a été étendue à la propriété des œuvres culturelles et au droit d’usage des logiciels ou d’autres produits immatériels ou non. Une autre forme d’exploitation est celle liée à la rente et aux monopoles, la possession de matières premières, le contrôle des minerais, du pétrole, le contrôle et la distribution de ressources comme l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, Internet, l’accès à certains services comme la gestion des déchets, contrôle des accès et les péages comme les parkings, les autoroutes, les redevances, permettent de percevoir des royalties liées à une concession ou à une propriété privée. Il existe beaucoup d’autres méthodes comme l’obsolescence programmée pour faire du profit et exploiter les humains, nous ne les détaillerons pas pour éviter d’être trop long. Dans le rapport entre les collectivités publiques et les capitalistes, il s’agit toujours d’essayer de faire supporter le coût des investissements à la sphère publique, de privatiser les profits et de socialiser les pertes afin de les faire supporter par toute la collectivité. Dans le cas du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes cette méthode est appliquée à la lettre. L’Etat et les collectivités locales vont supporter les trois quarts des investissements, si le projet fonctionne Vinci touchera le pactole avec son partenariat public privé puisqu’il lui percevra un loyer annuel important et l’argent des droits à concessions des parkings. Si le projet échoue, Vinci réclamera au moins 250 millions de dédommagements. L’orientation capitaliste est clairement établie. Dans notre contexte, c’est le capital financier qui dicte sa loi, c’est bien le cas ici avec Vinci. Les politiciens eux-mêmes reconnaissent la complexité des contrats qu’ils signent et en découvrent les conséquences après coup.
L’affaiblissement politique des dominés est le second volet de l’articulation entre l’exploitation et la domination, parce qu’il est nécessaire que la situation soit vécue comme normale, il faut intégrer au fonctionnement général, il est important de produire les êtres dont on a besoin. Dans le projet Île de Nantes nous retrouvons ce souci de présenter ce qui advient comme bon pour la population, comme allant de soi. La question de « qui décide ? » n’est jamais à l’ordre du jour et il est considéré comme normal qu’elle ne le soit pas. Le lien entre les politiciens locaux et le capital financier n’est pas non plus discutable. Le raisonnement est simple, vous avez voté pour nous, donc maintenant vous devez accepter nos décisions. Le choix de la forme capitaliste du partenariat public privé dans la construction de l’aéroport n’a pas besoin d’être soulevée. La Région Pays de la Loire est socialiste, le Conseil Général est socialiste, la Mairie de Nantes est socialiste. Nantes Métropole ne fonctionne pas avec des élections démocratiques au suffrage universel, elle est dirigée par les socialistes, la boucle de la métropolisation est socialiste et Europe Ecologie les Verts accepte de collaborer pour garder les postes d’élus et les salaires afférents. Le Projet Île de Nantes, comme celui de la Métropolisation de l’agglomération nantaise, comme celui de l’Aéroport de Notre Dame peuvent se placer d’emblée dans une perspective de développement capitaliste, aucun débat sur le contenu ne sera accepté. Dans ce cadre, évoquer le mot « citoyen » ou celui de « citoyenneté » tout le temps ne sert qu’à épuiser les forces démocratiques, ce sont des mots paravents qui cachent le réel capitaliste sans même donner de belles couleurs à la situation. Les politiciens sont bien l’interface entre le capitalisme d’entreprise et la population, sans eux Vinci ou Bouygues ne pourraient pas se développer correctement, à l’inverse Vinci et Bouygues donne en partie corps aux rêves des politiciens, que ce soit une prison ultramoderne et un aéroport inutile.
Dans le lien entre exploitation et domination, pour les personnes qui ont choisi de travailler pour que continue le fonctionnement du capitalisme, il s’agit de maintenir les profits et les pouvoirs sous diverses formes en lien avec la politique étatique et locale. Construire une Métropole et donner forme à une ville, à un quartier, détruire une grande zone humide ce sont des choix qui s’appuient sur une orientation qui maintient la structure même du capitalisme avec l’exploitation et la domination. Les politiciens ont donc envisagé de développer la Métropole à partir de la culture et maintenant d’y associer l’écologie sans rien changer aux rapports sociaux ni aux sources de profits, il faut continuer à faire du profit, les pauvres doivent être soumis et se taire, les classes moyennes doivent participer joyeusement à ce beau projet. Par contre travailler l’image, le marketing, le média territoire, l’espace collaboratif, c’est cela la nouveauté, « créatif », « innovant » voilà ce qu’il faut être, y compris dans la forme de la ville. C’est de cette façon que Nantes Métropole souhaite nous faire adhérer à son projet et obtenir les comportements qui lui permettront de se développer.
Une autre approche pour modéliser notre situation : l’articulation entre le capital financier, l’immatériel et l’apartheid social.
Si on examine les logiques à l’œuvre présentes dans notre second modèle, on constate que comme partout ailleurs que c’est le capitalisme financier qui imprime sa marque et détermine la situation. Ici, l’acteur le plus évident c’est Vinci, mais Bouygues, Véolia et les autres ne sont pas loin derrière. Les petites entreprises locales participent à l’aménagement de la ville et à sa reconstruction, mais elles le font souvent comme sous-traitantes des grands donneurs d’ordres liés au capital financier. Vinci est en lui-même une nébuleuse de filiales qui travaillent les unes pour les autres. Le CIO qui est en train de construire son siège social est partie intégrante du capitalisme financier, EuroNantes est conçu comme un quartier d’affaire. La logique d’expansion et de concurrence propre au capital financier est respectée, la forme de la ville de Nantes ne peut y échapper et les politiciens locaux font tout pour qu’on s’y intègre et que cela soit notre avenir.
La seconde logique marquante de la situation c’est la montée en puissance des machines et de l’immatériel, c’est ce qu’on observe facilement dans le projet Île de Nantes, c’est la culture qui a servi d’axe à la conception du quartier pour suppléer à la fin de l’industrialisation. Le tertiaire est central dans les activités de ce projet. Les machines y sont aussi très présentes, à la fois pour les loisirs, mais aussi pour le fonctionnement de base : ordinateurs, réseaux informatiques, machines spécialisées selon l’activité, transports, etc. L’investissement dans l’immatériel ne peut pas être séparé de tout cet ensemble. La sollicitation de la subjectivité des humains de ce début de siècle est une implication qui a besoin des machines et d’une attention volontaire des sujets. On retrouve ici l’espace collaboratif souhaité par Nantes Métropole. A Nantes, comme dans beaucoup d’autres lieux, la subjectivité est essentielle au fonctionnement du capitalisme contemporain. Le nouvel esprit du capitalisme a besoin de l’adhésion subjective des humains pour fonctionner. Mais comme ceci ne se commande pas, ne peut pas être obtenu par la contrainte, il faut trouver d’autres solutions, d’où les tentatives toujours répétées pour nous faire participer au monde merveilleux de l’Île de Nantes. L’attention portée au marketing est typique du phénomène, de ce point de vue réussir à lier l’écologie avec la culture autour du thème Nantes Capitale Verte a été essentiel pour la promotion de l’Île de Nantes, même si pour construire ce quartier il faut créer un aéroport dont nous n’avons pas besoin et qui n’est pas du tout écologique. Cet acte anti-écologique en lui-même détruit le concept « Nantes Capitale Verte », c’est une contradiction interne qui ne semble pas gêner les promoteurs du projet et qui montre qu’une part de l’immatériel contemporain relève des jeux de langage et de la captation du désir de la population pour l’intégrer au fonctionnement du capitalisme actuel.
La troisième logique est celle de l’apartheid social. C’est une gestion différentielle des populations, il existe une séparation qu’il faut maintenir. Elle est visible si on regarde l’attitude des autorités locales vis-à-vis des Roms. Ayrault a toujours refusé l’implantation de camps de Roms sur la commune de Nantes, une fois cet objectif atteint, Nantes Métropole a pris le relais sur le territoire de l’agglomération. Les expulsions de camps de Roms ont donc été régulières et ont repoussé les Roms vers l’extérieur de la ville dans des conditions d’insalubrité importantes et les mettant souvent dans l’impossibilité de scolariser les enfants. Un maire de la banlieue nantaise a choisit une voie différente. C’est la mairie d’Indre qui depuis 2009 a préféré l’intégration plutôt que le rejet. En lien avec l’association Romsi, un village de la solidarité a été créé. Au début, il a du faire face à l’hostilité d’une partie de la population, mais aujourd’hui le regard sur les Roms a changé là-bas. 8
La gestion des Sdf est un autre élément de l’apartheid social local. Le centre ville doit être propre. Celui-ci est régulièrement nettoyé par les équipes de propreté de la ville, de plus, on doit ne doit pas y voir de Sdf s’installer longtemps. Si besoin, un véhicule banalisé vient les chercher et les emmène avec leurs affaires dans les quartiers périphériques où ils feront moins tâche. Une des missions de la Police Municipale est de limiter la mendicité, celle des punks à chiens, celle des Roms ou de toute autre personne qui reste trop longtemps sur place. Les policiers municipaux font également la chasse aux groupes de jeunes dans les parcs et espaces verts, le contrôle peut porter sur l’usage de cannabis. En cas de difficulté, les Bacs (Brigades anti-criminalité) arrivent pour des contrôles d’identité musclés et des arrestations. Le terrain de chasse privilégié des Bacs restent les cités de banlieue, où les contrôles au faciès sont une banalité de base de la situation. Le contrôle des papiers fait également partie du quotidien nantais, ce n’est pas une spécificité locale, cela se termine souvent au Cra (Centre de Rétention Administratif de Rennes) pour les sans-papiers. Une autre façon d’appliquer la xénophobie d’Etat est celle de la Préfecture qui refuse à une association locale de solidarité avec les immigrés, le Gasprom membre de la Fasti, de les domicilier à l’adresse de son local. Leur donner une adresse est une première étape pour qu’ils puissent mettre en place leur démarche de régularisation ou de demande d’asile. Comme cette structure s’oppose à la xénophobie d’Etat, la Préfecture la poursuit en justice pour lui interdire de mettre en œuvre cette pratique de solidarité. La Mairie socialiste ne proteste pas et ne demande pas à la Préfecture de revenir en arrière.
La surveillance par caméra vidéo est très développée à Nantes, le réaménagement de certaines zones permet d’obtenir de grands espaces vides faciles à contrôler par vidéosurveillance. Après les manifestations, couplées aux images policières, ces données permettent aux policiers de faire du flagrant délit différé, c’est-à-dire de reprendre après-coup des images pour vérifier qui était sur place à ce moment là et arrêter les personnes mises en cause. La domination policière est inséparable de la surveillance et du contrôle, c’est pour cela qu’au moindre rassemblement nous sommes photographiés, filmés sous tous les angles et que c’est devenu un travail permanent pour certains policiers, la reconnaissance faciale est essentielle pour eux.
Une autre facette de l’apartheid social est celle qui concerne le contrôle social des précaires et des chômeurs. Djamel Chaar en a subit les conséquences, il en a fait un combat pour dénoncer la situation et s’est immolé par le feu devant une agence de Pôle Emploi. Il a expliqué son geste au journal Presse Océan : « Aujourd’hui, c’est le grand jour pour moi car je vais me brûler à Pôle emploi. J’ai travaillé 720 heures et la loi, c’est 610 heures Et Pôle emploi a refusé mon dossier ».9 Ses droits à indemnisations étaient bloqués par un « trop-perçu », nommé aussi « indu » et le ministre socialiste du travail et du dialogue social répondra : « Les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient ». 10 Les mesures prises l’ont été pour protéger Pôle Emploi et ses salariés, notamment en renforçant le sécuritaire à l’accueil des agences et l’intervention possible des flics. D’autre part, la police a réprimé violemment un rassemblement pacifique organisé en hommage à Djamel, officiellement il s’agissait de protéger une manifestation festive organisée ce même jour par La Manif pour Tous contre le mariage homosexuel. Il y a eu des gazages directement sur le visage, des personnes jetées à terre et piétinées, des personnes blessées transportées au Chu. Les personnes rassemblées en hommage à Djamel ont été qualifiées d’être violentes pour deux raisons : parce qu’elles ont été violentées par les flics et parce que certaines étaient connues des services de police comme faisant partie des opposants au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Nous constatons qu’il existe une autojustification policière, si nous prenons des coups c’est que nous sommes violents. 11 Cet apartheid social fait partie des méthodes employées régulièrement pour mettre en place le métropolisation à Nantes.
Le traitement policier et judiciaire ou médiatique réservé aux opposants à l’aéroport, en particulier à ceux et celles qui vivent sur la Zad, le territoire concerné par cet aéroport, est très clair, il ressemble à celui réservé aux sans-papiers et aux Roms : blessures, arrestations, décisions de justice très répressives, destructions et confiscations des biens, chasse à l’homme, arrêtés préfectoraux spécifiques limitant le contenu des transports comme le bois ou les carburants, surveillance y compris avec des survols répétés d’hélicoptères, contrôles divers et variés, occupation militarisée de la région, etc. Dans le même temps, sur l’Île de Nantes, nous conviés à nous restaurer, à faire la fête, à déambuler, à consommer de la culture et de l’écologie, mais ce n’est pas le même espace ni la même population qui sont concernés.
Dans le cadre de l’étude de l’apartheid social lié à la métropolisation de Nantes, nous devons aborder la façon dont la Tan, l’entreprise de transports publics de Nantes, organise le contrôle des usagers. Elle vient de mettre en place une nouvelle carte nommée LiberTan, elle a un nom qui se réfère à la liberté, elle permettrait de voyager moins cher et de faciliter la vie des usagers des transports. C’est surtout une carte avec une puce RFID et une technologie de contrôle et de gestion des flux des passagers. Cette carte contient des informations personnelles nominatives, votre domicile, vos informations bancaires, elle peut être lue et réécrite si elle est présentée devant un lecteur Rfid approprié. Cette technique a été développée pour un usage militaire. On la trouve maintenant un peut partout comme pour le suivi de marchandise ou de bétail ou alors intégrée dans nos passeports biométriques et pour identifier nos animaux de compagnie. Avec cette carte, il est dorénavant possible de retracer totalement n’importe quel de nos déplacements, car à chacun de nos bip c’est notre identité qui est enregistré dans un fichier en même temps que l’heure, la date et l’endroit où a eu lieu le bip. En plus de renseigner sur le trajet qu’a effectué n’importe qu’elle personne, il est techniquement tout à fait possible de déclencher, en tant réel, une alerte quand une personne précis bip sa carte quelque part, où qu’un groupe de personne précis bip dans le même tram ou encore que n’importe quel personne habitant dans tel quartier viens de monter dans un bus en direction du centre ville… La Tan ne se cache d’ailleurs pas de la collaboration qu’elle effectue activement avec la police, Pascal Leroy, son directeur commercial déclare : « Les données personnelles (nom, prénom, adresse, photo, coordonnées bancaires) sont conservées deux ans après la fin de la relation commerciale, sauf s’il y a un litige où on les garde plus longtemps. Elle sont alors archivées, consultables par la police pendant dix ans […] Les « données de validation », date et heure de montées à bord, sont gardées quatre mois puis dix ans dans un coffre fort, pour la carte de paiement au coup par coup. Et une journée et dix ans pour l’abonnement illimité. » 12
Cette carte LiberTan participe des jeux de langage de la postmodernité, parce que derrière l’évocation de la liberté c’est un outil de surveillance et de contrôle, un dispositif anti fraude dans une société, où tout et tout le monde doit être propre, lisse, rentable, traçable, transparent, où toute personne qui refuse ce fichage est considéré comme suspecte, proche de l’illégalité et potentiellement dangereuse. Une société qui voudrait nous dire sur quelle île on doit faire la fête et jusqu’à quelle heure, dans quelle cité on doit dormir, dans quel quartier on doit laisser s’exprimer notre désir de consommation, une société bien normalisée pour le capitalisme postmoderne où nous sommes en apparence libre, mais bien encadrés, normés. 13
Une dernière approche de modélisation de la situation : les 3 écologies de Félix Guattari, l’écologie environnementale, l’écologie sociale et politique et l’écologie existentielle.
Pour cet auteur, la compréhension du capitalisme passe par le lien entre trois écologies, l’écologie au sens classique, le rapport à la nature vue comme un écosystème. L’écologie et cette notion d’écosystème a été étendue par Guattari à la société pour montrer que les relations entre les éléments du capitalisme pouvaient être vue comme des modules interagissant entre eux et également comme un système représentationnel. La dernière écologie qu’il aborde est la subjectivité humaine qui elle aussi est une sorte d’écosystème relationnel entre divers éléments. Il insiste sur l’écologie existentielle, parce que le rapport à soi-même est trop souvent négligé. L’articulation entre les trois niveaux d’écologie rend difficile la séparation de l’une des deux autres. Dans le cas de la métropolisation de Nantes et de la création du quartier de l’Île de Nantes, on peut observer l’impact de ce choix sur les trois écologies mentionnées par Guattari. La nature est touchée à la fois sur la ville de Nantes qui est réaménagée régulièrement et sur le territoire de Notre Dame des Landes où doit être construit cet aéroport. Les rapports sociaux et politiques sont concernés parce qu’il s’agit d’un choix qui change le fonctionnement économique et politique de la région en mettant en avant le tertiaire et la culture. De plus, le quadrillage de la population et l’apartheid social s’occupe de la gestion des pauvres d’une nouvelle manière. L’existentiel des sujets est en première ligne dans ce projet, parce que c’est sur lui que s’appuie l’espoir de réussite du projet. L’implication participative des sujets est essentielle ici, c’est basé sur la liberté, mais c’est l’engagement actif qui est recherché, à la fois pour consommer et participer au développement de la culture sur l’Île de Nantes, c’est le devenir du « média territoire » qui est en jeu. D’ailleurs, dans cette situation, on constate que l’on ne peut pas séparer les trois écologies : le changement dans le rapport à la nature, le changement social et politique sont liés au changement existentiel et vice versa.
1 « Nantes saisie par la fièvre des nouvelles technologies, En pleine expansion, les entreprises nantaises rénovent leurs systèmes d’information, dans une ville dynamisée par l’administration, les collectivités locales et la technopole. » Corinne Zerbib le 20/04/01
http://www.01net.com/editorial/146480/nantes-saisie-par-la-fievre-des-nouvelles-technologies/
« Étude: les entreprises du Grand-Ouest se convertissent à internet, Philippe Auregan, responsable études et prospectives à la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Nantes-Saint-Nazaire, tire les conclusions de l’enquête menée par ses services, auprès de quelque cinq cents entreprises de Loire-Atlantique, toutes tailles et secteurs confondus ».
2 « Un prix mondial pour le Carrousel, Culture : Les Machines affichent leur fierté, Il est considéré comme « l’oscar de l’industrie des attractions ». Ouvert depuis juillet 2012, le Carrousel des Mondes marins s’est vu décerner l’Award de « l’attraction la plus originale de l’année 2013 » par la très réputée Themed Entertainment association (TEA), ont annoncé jeudi les responsables des Machines de l’île. Ce collectif international, qui représente les créateurs, développeurs et producteurs de spectacles du monde entier, remettra officiellement son prix en avril à Los Angeles.
« C’est une grande fierté que l’on souhaite partager avec le public nantais. Il a su s’approprier ce projet qui était un ovni au départ. Avec cette reconnaissance de la profession, on franchit une nouvelle étape », se réjouit Pierre Oréfice, directeur des Machines. « Cet Award sera un élément très fort de promotion. Le Puy du Fou a attendu trente ans avant d’être primé l’an passé. Ça a déclenché des retombées immédiates en terme de fréquentation », note le Voyage à Nantes. « Il faut maintenant continuer notre développement en faisant le projet d’Arbre aux hérons », réclame François Delarozière, concepteur des Machines, dans l’attente d’un feu vert politique. Article de Frédéric Brenon.
http://www.20minutes.fr/nantes/1253239-prix-mondial-carrousel
3 Au moment de l’inauguration du nouveau Mémorial sur l’esclavage, un collectif a diffusé une petite brochure intitulée « Une mémoire d’éléphant… qui trompe énormément ! » « Il faut que tout bouge pour que rien ne change ! (proverbe capitaliste) ». C’est à la fois une référence à l’éléphant de royal de Luxe qui déambule dans le parc d’attraction de l’Ile de Nantes et un clin d’œil au fait que notre grand dirigeant local monsieur Ayrault devenu Premier Ministre en 2012 était un « éléphant » du PS, un notable ayant une vision assez féodale de son rôle de dirigeant politique, puisqu’il a toujours cherché à tout contrôler sur le territoire de Nantes Métropole, associations comprises. Cette brochure est disponible sur le site Indymedia Nantes et sur le site de l’Infokiosk de B17 :
http://nantes.indymedia.org/articles/25545
http://www.kiosqueb17.lautre.net/spip.php?article45
4 De la Casinière Nicolas, Les prédateurs du béton, éditions Libertalia, Paris, septembre 2013, 160 pages.
5 « Liste des espèces menacées recensées postérieurement à 1950 dans Commune : Notre-Dame-des-Landes, Inventaire national du patrimoine naturel. » L’INPN est un organisme national qui dépend du Ministère de l’Ecologie et qui est chargé d’établir un répertoire des espèces vivantes présentes en France. http://inpn.mnhn.fr/collTerr/commune/44111/tab/especesmenacee
6 « L’usine du futur s’invente dans l’agglo », Rezé mensuel, n° 87 décembre 2013, page 9
7 Graeber David, Dette : 5000 ans d’histoire, Editions Les Liens qui libèrent, paru en septembre 2013, 624 pages.
8 Loire-Atlantique : des Roms se font leur place au village, Didier Arnaud envoyé spécial à Indre (Loire-Atlantique), 30 octobre 2013.
http://www.liberation.fr/societe/2013/10/30/loire-atlantique-des-roms-se-font-leur-place-au-village_943498
A Indre, «le regard sur les Roms a changé depuis leur arrivée», Didier Arnaud, 31 octobre 2013
9 « En s’immolant, Djamel « a voulu faire passer un cri », Le Monde 01.06.2013 par Jean-Baptiste Chastandhttp://www.lemonde.fr/politique/article/2013/06/01/en-s-immolant-djamel-a-voulu-faire-passer-un-cri_3422188_823448.html
10 L’humanité qui convient, brochure publiée sur le site Les CAFards et rédigée par Des collectifs de chômeurs et précaires réunis en coordination : CAFCA Ariège, CCPL Lille, Exploités-Énervés Cévennes, CAFards de Montreuil, La C.R.I.S.E à Nancy, Permanence Précarité CIP-IDF, CNT-UL Chelles & Marne-la-vallée, Réseau Stop Précarité, Recours-Radiations.
http://cafard93.wordpress.com/2013/04/10/humanite/
11 « Manifestation en hommage à Djamal : la police agresse des manifestants »
https://nantes.indymedia.org/articles/27166
12 Les bétaillères high tech de la Tan, Lettre à Lulu n° 81, juillet 2013.
www.nanomonde.org/IMG/pdf/LiberTAN.pdfý
13 Titres de transport numériques : l’arme anti-fraude de la Tan ? Créé le 26-11-2013 TRANSPORT – Depuis août 2013, la Tan généralise son offre de titres de transports numériques à tous ses usagers : voyageurs ponctuels comme abonnés. Le 1er novembre a été lancé Libertan sur-mesure, une carte permettant le paiement des trajets à la fin du mois. Une manière de contrecarrer une fraude galopante ? http://www.metronews.fr/nantes/titres-de-transport-numeriques-a-nantes-la-nouvelle-arme-anti-fraude-de-la-tan/mmkz!sxkarjcCsAVc/